Panier

Le panier est vide

Pour ceux qui me suivent avec passion (!) surtout, n'oubliez pas la date du 21 mai à 17:00 à la Librairie des Écrivains, dans la cité des Antiquaires du 117 boulevard de Stalingrad au 1er étage.

Revenant d'Australie, Broome, je présenterai un documentaire réalisé par Magali McDuffie qui parle justement de trois femmes, trois sœurs, que j'ai rencontrées et qui offrent avec beaucoup de cœur leur énergie pour la transmission de leur patrimoine culturel et de leur langue, le Nyikina.
Le film est d'ailleurs sélectionné pour le " Native Spirit Festival" qui aura lieu en  octobre 2016 à Londres.

C'est une occasion unique de le découvrir.

Ci-dessous le texte de la réalisatrice (aussi rencontrée) qui retrace les parcours de Lucy, Jeannie et Anne.

Après la diffusion du film, un thé autour de spécialités australiennes nous permettra d'échanger à propos de cette culture si riche.

Mes livres seront aussi là, particulièrement "l'homme qui devint chaman" dont une partie se passe en Australie, dans les Territoires du Nord, en terre d'Arnhem, près de Darwin.

 A la semaine prochaine, donc.

Delphine Hopital


P.S. La librairie prend une participation de 5€ pour l'événement


TROIS SOEURS
Documentaire Australien: Magali McDuffie & Madjulla Inc., 2015
Sous-titré en français, 47 minutes

Le documentaire Trois Soeurs est le résultat de sept années de collaboration, d’interviews et de conversations, entre une Française, Magali McDuffie, cinéaste et doctorante résidant en Australie depuis presque 15 ans, et trois femmes Nyikina, Lucy Marshall, Jeanni Wabi, et Anne Poelina.
Depuis plus de vingt ans, Lucy, Wabi, et Anne se battent pour préserver leur culture ancestrale, leurs terres, leur langue, et pour créer une économie de développement durable dans leurs communautés isolées du Nord Ouest de l’Australie, une région connue pour sa culture aborigène unique, et sa beauté sauvage, les Kimberleys. Le peuple Nyikina est le peuple “Yimardoowarra”, le peuple de la rivière Mardoowarra, ou Fitzroy River, comme l’ont nommée les premiers explorateurs Européens. Colonisées plus de 100 ans après Sydney à cause de leur isolement, les Kimberleys voient arriver des colons en quête de terres pour leur bétail ou leurs moutons dans les années 1880. Ces derniers posent des clôtures, s’approprient les rares points d’eau, réduisent tout de suite la population Aborigène en esclavage pour travailler dans leurs fermes, emprisonnent ceux qui osent protester, ou pire, commettent des massacres dont les Anciens se souviennent encore. Micky, un Ancien Walmajarri, nous raconte d’ailleurs l’histoire de son emprisonnement dans le film, calmement, posément, sans même une trace de rancune ou d’amertume... Les missionnaires arriveront aussi, évangélisant une population d’origine nomade pour les “protéger” dans des missions dont beaucoup ne sortiront pas… Les maladies, comme la lèpre, feront aussi leurs ravages...
Lucy et Wabi font partie de cette génération qui a grandi dans des fermes pastorales et que l’on a soumise au travail forcé en échange de couvertures, due thé, ou de sucre. Malgré la violence, les privations, et le contrôle absolu qu’ont les fermiers sur leurs travailleurs aborigènes, ceux-ci vivent encore sur leurs terres, et continuent de pratiquer leurs traditions, cérémonies, et de parler leur langue… Dans les années 1960, en Australie, les choses changent, le mouvement pour l’égalité des travailleurs Aborigènes s’organise, et en 1967, on reconnaît finalement les droits des Aborigènes, alors qu’ils étaient jusqu’à cette époque considérés par l’administration australienne comme faisant partie de la faune et de la flore.
Jeannie Wabi, Lucy Marshall, Anne Poelina
Mais cette “égalité”, les Aborigènes des Kimberleys n’en tireront pas vraiment de bénéfices… Incapables de payer tous leurs ouvriers un salaire normal d’homme blanc, les fermiers renvoient les Aborigènes, qui se rassemblent près des villes, dans l’espoir d’obtenir un travail, ou un soutien quelconque.
Cet exode de leurs terres ancestrales aura bien sûr les conséquences désastreuses qu’on lui connaît: sans-abris, violence, alcoolisme, traumatismes psychologiques… Mais là encore, la culture, forte de milliers d’années de Temps du Rêve, survit. Anne Poelina, une génération plus tard, est élevée non pas sur les terres Nyikina, mais à Broome, où nombre d’Aborigènes ont afflué après l’exode, en terre Yawuru. Issue de l’union d’une mère Aborigène Nyikina et d’un père Timorais, elle représente cette nouvelle génération multi-culturelle, consciente de ses racines, mais également ouverte au monde extérieur. Elle grandit à Broome, mais en passant du temps dans le bush, sur les terres Nyikina, apprend les histoires des Anciennes, parle la langue, et refuse de se soumettre à l’idéologie de l’époque, comme quoi les Aborigènes ne sont que des “bons à rien”. Elle passera son bac, fera des études d’infirmière, puis, encouragée par ses succès, enchaînera trois maîtrises, et plus récemment, un doctorat.
Les films, cela fait plus de vingt ans que le peuple Nyikina les utilise. A l’origine, pour documenter leurs traditions, et leur culture, puis, plus tard, pour accéder aux subventions d’associations philanthropiques internationales, pour partager leur culture, expliquer leurs initiatives sur le terrain, et favoriser le dialogue entre les Anciens et les jeunes. “Ces films sont pour nous un moyen d’exister, d’affirmer notre identité, de confirmer au monde extérieur qui nous sommes, leur dire, nous sommes là, et voilà ce que nous faisons”, dit souvent Anne.
Il y a 10 ans que Magali travaille avec les commaunautés Aborigènes, d’abord sur la côte Est, puis, suite à une séries de rencontres et de coincidences, dans les Kimberleys. “Quand je suis arrivée à Broome il y a 9 ans, en plein été, dans une chaleur tropicale infernale, je pensais y passer deux semaines, faire un film avec la communauté, puis repartir pour d’autres horizons... Cela fait maintenant 9 ans que j’y retourne et que j’y vis souvent, et cela a changé ma vie”. Il y a 9 ans, un climat positif régnait dans les Kimberleys – les nombreux projets mis en place par Nyikina Inc, et Madjulla Inc, à l’initiative de Lucy et d’Anne, connaissaient un grand succès.
Prison Boab Tree, Derby
Les programmes d’apprentissage de la langue Nyikina, en particulier, étaient très prisés – Wabi, en tant que représentante de la langue Nyikina au Conseil d’Art et Culture des Kimberleys, a travaillé étroitement avec une linguiste, Colleen Hattersley, pendant de nombreuses années pour produire un dictionnaire interactif de langue Nyikina, ainsi que des CDs d’apprentissage en collaboration avec une université australienne. Avec Anne, elles ont également publié des livres d’histoires Nyikina. Combattre la pauvreté par l’art, la culture, la langue, et les initiatives économiques de développement durables dans les communautés: tels étaient les objectifs des trois soeurs, car les politiques d’assimilation, d’intégration et de self-management des gouvernments successifs n’avaient fait qu’aggraver la situation.
Malheureusement, une menace pesait sur les Kimberleys, qui n’a fait que s’amplifier avec la crise financière mondiale… Riches en métaux précieux, charbon, gaz et autres matières premières, les Kimberleys étaient en ligne de mire… On parla soudain de mines de charbon à ciel ouvert, le long de la Mardoowarra, d’un complexe gazier plus grand que celui du Qatar sur la côte au Nord de Broome, d’exploration de gaz de schiste… La machine était lancée. Les trois soeurs, impliquées dans leurs communautés respectives à un niveau local, ont vu le besoin de faire part de leur combat, avant qu’il ne soit trop tard, pour défendre leur culture, leurs terres, sur lesquelles, en 2015, elles n’ont encore aucun droit. Une compagnie minière peut “négocier” avec la communauté locale, mais c’est à leur bon vouloir: la communauté ne peut en aucun cas bénéficier d’un droit de véto.
Les films des trois soeurs, par conséquent, sont devenus plus politiques, plus militants – cherchant des alliés au niveau international, l’un de nos films fut diffusé à la Commission des Droits de l’Homme de l’UNESCO en 2012. Anne fut également signataire du Redstone Statement, aux Etats-Unis, durant lequel elle rencontra Jonathan Hook, un philosophe Cherokee, qui figure aussi dans le film lors de sa visite dans les Kimberleys en 2010.
Ces films ne sont plus uniquement les témoins d’une culture – ils sont les témoins d’un combat entre des notions de développement diamétralement opposées, celles du monde occidental, contre celles du monde autochtone. Ils révèlent aussi, comme le mentionne Anne dans le film, que “nous sommes tous colonisés: ce n’est plus une question de Noirs, ou de Blancs. Nous sommes tous concernés”. Anne est devenue, durant ces dernieres années, une activiste reconnue en Australie, et a participé au film d'Eugénie Dumont, Heritage Fight, ainsi qu'au tournage d'une émission de Thalassa sur les Kimberleys.
Mount Anderson, “Jarlmadangah”
Ce film retrace le parcours fascinant de ces trois soeurs, et au travers d’elles, l’histoire récente des Kimberleys, et les impacts de l’industrialisation à outrance. Il contient leur message au reste du monde: “Nous sommes encore là. Nous savons qui nous sommes, nous connaissons notre Loi. Nous devons nous battre ensemble, épaule contre épaule” (Lucy Marshall)“.